Depuis quelques mois, les applications pour analyser les cosmétiques se multiplient. Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas le principe, il s’agit d’applis pour smartphone qui décryptent la composition des produits. Pour ce faire, il suffit de prendre en photo la liste d’ingrédients ou de scanner le code barre. Un vrai jeu d’enfants !
Malheureusement, si nous saluons l’initiative qui aide à sensibiliser les consommateurs sur les ingrédients indésirables dans les cosmétiques, nous pensons qu’il est risqué de les considérer comme une source d’informations de référence.
On vous explique pourquoi. 🤔
Les applications cosmétiques font des erreurs… sans que vous vous en rendiez compte
Des erreurs liées à la technologie utilisée
L’une des premières applis cosmétiques créées se base sur une technologie OCR, c’est-à-dire la détection de texte dans une photo. Cette technologie permet d’éviter la saisie des données à analyser par l’utilisateur, dans le but de lui faire gagner du temps.
Or, la technologie OCR n’est pas fiable à 100 %. À titre d’exemple, un packaging arrondi ou un reflet de lumière sur l’emballage peuvent empêcher la détection de l’ensemble de la liste d’ingrédients… Et comme l’appli ne vous retranscrit pas la liste des mots détectés, vous n’avez aucun moyen de savoir si tous les ingrédients ont bien été analysés. Ainsi, on peut passer à côté d’ingrédients indésirables, juste parce que l’appli n’a pas détecté leur nom sur l'étiquette.
Des erreurs liées à l’humain
Il y a quelque temps, la créatrice de l’une de nos marques adhérentes a constaté une erreur de saisie de la liste INCI de ses crèmes. Il était indiqué « MACADAMIA TERNIFOLA SEED OIL PEG -8 ESTHERS » alors que ses crèmes contiennent en fait de l’huile de macadamia bio pure, soit « MACADAMIA TERNIFOLA SEED OIL ». À cause de cette erreur de saisie, les produits ont reçu une mauvaise note qui a été vue par de nombreux consommateurs. Vous imaginez l’impact négatif généré pour la marque ?
Des bases de données obsolètes
Savez-vous combien de cosmétiques sont en circulation dans le monde ? D’après la Fébéa, 800 000 produits sont en vente rien que sur le marché européen. Un tiers d’entre eux change de composition tous les ans et 10 % sont de nouveaux produits. Tenir une base de données à jour est donc un travail de titan. D’autant plus que le code barre ne change pas lorsqu’un produit subit un changement de packaging ou de formule ! Ainsi, l’une de nos marques adhérentes qui avait beaucoup travaillé sur une reformulation de vernis à ongles s’est vue mal notée parce que la base de données prenait en compte ses anciennes formules, plus commercialisées depuis plusieurs mois...
Des erreurs liées au manque de connaissances en formulation cosmétique
Les concepteurs des applications d’analyse ne sont pas forcément des spécialistes de la formulation cosmétique. Le souci, c’est qu’ils ne se font pas nécessairement accompagner de personnes qui le sont ! Par exemple, l’une des applis s’appuie sur les compétences d’un nutritionniste pour les produits alimentaires. En revanche, elle ne semble pas accompagnée par un expert en cosmétique pour le volet produits de beauté, ce qui se ressent au niveau des notations…
En effet, nous avons relevé plusieurs analyses avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Certains ingrédients naturels sont présentés comme nocifs (alors que non) tandis que des ingrédients pétrochimiques controversés ne posent pas souci. Certains influenceurs comme l’instagrammeuse La Biotista ont d’ailleurs pris la parole sur ce point :
Une information trop simplifiée… voire inexistante
La formulation cosmétique est un sujet très TRÈS complexe. Le problème des applications, c’est que pour simplifier le sujet, elles font des raccourcis et occultent certaines données. Du coup, l’utilisateur final dispose d’une information partielle, qui peut de ce fait être erronée. Voici quelques exemples concrets pour illustrer notre propos :
Les ingrédients sur lesquels les scientifiques sont indécis
Comme le rappelait Capucine Piot du blog Babillages dans son comparatif des applis cosmétiques, en formulation, ce n’est pas toujours tout blanc ou tout noir. Certains ingrédients font polémique et l’on manque de données scientifiques pour trancher la question. Ou alors, les données disponibles se contredisent !
Prenons par exemple le cas du dioxyde de titane, qui fait débat sous sa forme nanoparticulaire. À l’heure actuelle, aucune étude n’a établi de façon certaine sa dangerosité par application cutanée. Là où il aurait été intéressant d’expliquer la situation aux consommateurs, certaines applications ont choisi la facilité et ont classé le dioxyde de titane « dangereux » pour tous les produits qui ne mentionnaient sur leur emballage pas qu’ils étaient sans nano. Or chez Cosmébio, nous interdisons l’allégation « sans nano », car il n’existe pas de méthode de référence pour déterminer la proportion de nanoparticules dans un produit.
À lire également : Le dioxyde de titane et les cosmétiques bio
Il en va de même pour le benzyl salicylate, catégorisé par certaines applications comme un perturbateur endocrinien. Pour l’instant, les perturbateurs endocriniens n’ont pas de cadre législatif : aucun texte n’établit de critères ou de méthodes d’évaluation de référence. A ce jour, il n’existe aucune réglementation spécifique applicable aux perturbateurs endocriniens en raison de l’absence de définition réglementaire commune et officielle à l’ensemble de la législation européenne.
Toutefois, un arrêté ministériel, publié le 28 septembre 2023, établit une liste des perturbateurs endocriniens avérés, présumés et suspectés, ainsi que des catégories de produits présentant un risque d'exposition particulier. Cet arrêté a été publié dans la cadre de la loi AGEC.
Dans cet arrêté, aucun des ingrédients autorisés dans les cosmétiques bio n'est inclus, y compris benzyl salicylate.
À lire également : Les perturbateurs endocriniens en cosmétique
Le cas des allergènes listés
En cosmétique, il existe une liste de 81 allergènes listés (limonene, cinalol, geraniol...), c’est-à-dire des molécules qui peuvent faire réagir les personnes allergiques à ces molécules et qu’il faut donc indiquer sur le packaging. Dans une formule cosmétique, ces allergènes ne sont pas ajoutés volontairement, ils proviennent d’autres ingrédients. Par exemple, les huiles essentielles amènent presque toujours des allergènes listés. Dans l’alimentaire, les allergènes sont également précisés (fruits à coque, œuf, lait...). Mais ils ne dévaluent pas pour autant la notation d’un produit qui en contiendrait ! Par ailleurs, le côté allergisant d’un cosmétique est très personnel. Deux personnes différentes exposées à une même substance ne réagiront pas forcément de la même manière.
À lire également : Les allergènes cosmétiques
À savoir : lorsque l’on épluche une mandarine ou une orange, l’exposition au limonene est 1000 fois supérieure à celle d’un cosmétique. Et pourtant, éplucher une orange ne présente aucun risque pour les personnes non allergiques ! Idem pour la menthe poivrée, qui est sujette à critique alors que des millions de gens la dégustent dans leur thé (ou dans leur mojito 😉).
Une analyse qui n’est pas assez globale
Chez Cosmébio, pour dire qu’un cosmétique est naturel ou bio, on regarde la composition bien sûr, mais l’on va bien au-delà. Nous regardons l’impact environnemental des procédés de fabrication, des emballages...
Certaines applications disponibles ne s’attachent qu’à l’innocuité des ingrédients pour le consommateur, et passent sous silence la dimension environnementale ou le danger pour les travailleurs. Il est ainsi possible de voir des ingrédients comme les silicones, le SCI ou les PEG bien évalués, alors qu’ils polluent énormément ou sont extrêmement nocifs pour les personnes qui les fabriquent…
D’ailleurs, les applications cosmétiques qui donnent des notes en se basant sur l’innocuité sont un peu trompeuses car un ingrédient pétrochimique peut être sans risque pour la santé (il sera alors bien noté) mais pas qualititatif pour autant...
Des produits alternatifs qui posent question
Que ce soit sur le volet alimentaire ou cosmétique, nous nous questionnons sur les produits alternatifs recommandés par certaines applications. Quels sont les critères de sélection ? Lors de la rédaction de notre article, nous n’avons pas trouvé d’informations à ce sujet. En revanche, nous avons constaté que des produits conventionnels sont souvent conseillés à la place de cosmétiques naturels et bio, ce qui nous interroge au vu de ce qu’il y a parfois dedans…
Une méthode de notation opaque
Sur aucune des applications testées ne figurent d’indication sur la méthode d’attribution des notes. À quel moment un produit passe-t-il d’excellent à bon, ou de bon à mauvais ? Pour qu’une notation soit pertinente, il faudrait prendre le temps de regarder bien plus que la liste des ingrédients. Il faudrait prendre en compte les dosages, la valeur ajoutée des ingrédients, l’existence ou non d’alternatives aux ingrédients controversés, regarder le nombre de personnes concernées par les risques potentiels…
En conclusion, nous ne disons pas que le principe de l’application d’analyse de composition cosmétique est à mettre à la poubelle. Au contraire, nous sommes ravis que des initiatives naissent pour sensibiliser les consommateurs sur l’importance d’acheter de meilleurs cosmétiques. Car c’est notre combat depuis plus de 20 ans !
Toutefois, nous préférons les processus d’éducation plutôt que d’imposition d’un avis. La formulation cosmétique est un sujet complexe : outre les ingrédients, il est question de dosage, d’interactions entre les ingrédients et les produits, etc.
Notre conseil ? Compléter votre analyse avec des informations d’experts comme celles dispensées dans nos dossiers ou vous tourner vers des cosmétiques labellisés qui ont été soumis à des contrôles poussés afin de prouver leur qualité pour le consommateur et l’environnement !